Journée d’études

Réfugiés en Images, Images de réfugiés

La mise en scène  de la crise actuelle des réfugiés en Europe

Journée d’études organisée par MIGRINTER et IREMAM à la MSHS de Poitiers (salle Mélusine)

le vendredi 3 juin 2016 de 9H30 à 17H.

Coordonnée  par Fabienne Le Houérou – Migrinter.

3 juin - filmer les suds-3-1(Vidéos des interventions)

L’année 2015 est marquée par des flux migratoires sans précédent en Europe depuis la deuxième Guerre mondiale. La journée d’étude (MIGRINTER-IREMAM)  propose d’évoquer la refugee crisis à travers sa médiatisation, ses supports classiques tels la presse et télévision d’une part, et les véhicules  numériques tels que  les blogs, les sites et les réseaux sociaux, d’autre part. L’ensemble de la production photographique et imagétique de ces organes institutionnalisés (ou pas) nous donne à voir des réfugiés à bout de souffle, à bout de vie, à bout de course, dans des états d’urgence.

La journée insistera sur les références mémorielles imagétiques du 19ème siècle et celles de la Première Guerre mondiale comme sources vives de ces représentations et évoquera la compétition des mémoires des deux guerres Mondiales dans la construction de l’image du réfugié. La dimension historique nous permet d’échapper au présentisme de l’actualité pour se tourner vers les images premières du passé les prôto-images (images premières) comme source de cet imaginaire européen sur les réfugiés. Même proche, ce court-passé imprègne le présent et le réinvente. Car la refugee crisis actuelle traduit un désir de monstration (mostra)   qui a inondé les médias depuis plus d’un an dans une ivresse d’indiscrétion bloquant parfois les analyses et conduisant, d’une certaine manière, l’ensemble des spectateurs européens vers des attitudes émotionnelles, moralistes, des engagements humanistes débridés ou des postures de rejets violents, voire de haine des autres. Cette production imagétique, en s’imposant  dans l’espace informatif, suscite des jugements de valeurs ou des effets de transferts et de miroirs  que cette journée tentera d’inventorier. Nous analyserons la construction victimaire  en inventoriant  les postures et les attributs imagétiques qui sont accolés aux réfugiés dans un souci de recensement symbolique : femmes et enfants comme emblèmes de la vulnérabilité. L’image de la mater dolorosa traverse tous les corpus imagétiques des ONG depuis les années 1970 (avec la crise éthiopienne). L’image de la mère douloureuse et courageuse mais impuissante face à la guerre s’enracine dans des représentations de la Première Guerre mondiale. D’autres icônes comme celle des maux inhérents à la situation d’urgence et de fuite sont des émanations des représentations de la Deuxième Guerre Mondiale. Elles s’inspirent de l’image des camps, des baraquements, barbelés et des tentes donnant à voir une représentation du retour d’une imagerie « primitive» d’un espace de relégation, ségrégué voire de contre-espace. Le nombre d’occurrences mettant en scène des réfugiés photographiés avec des barbelés, en arrière plan, est en ce sens emblématique de cet imaginaire « barbelé » qui hante notre représentation actuelle du réfugié. Cet imaginaire barbelé sera l’objet d’une analyse des imprégnations imagétiques de la seconde guerre Mondiale sur la crise actuelle des réfugiés.

Ces corpus renvoient à la mise en scène de la fuite en affichant des réfugiés en marche, en tenue d’aventuriers insistant sur des cadrages de routes, de chemins, de trains et de bateaux se rapportant à la traversée des espaces et à la mobilité forcée. Les photographies traduisent également une vision du réfugié comme combattant-aventurier, en tenue de combat ou de sport, en situation d’  embuscade pour se frayer un  passage (chaussures, joggings, mains). Les images des mains, par exemple, seront l’objet d’une analyse des représentations ambivalentes de la réception des réfugiés en Europe. Mains gantés des donateurs, chaussures abandonnées et pieds nus des récipiendaires.

La journée se donne pour réflexion  l’inventaire des symboles de la vulnérabilité  (couvertures, matelas, manteau, chaussures) se rapportant à la position de dépouillement et se propose également d’examiner, en contrepoint, une contre-représentation avec l’analyse d’ images alternatives de « réfugiés chics » comme celles produites par le photographe hongrois Norbert Baska.

  Force nous est de constater que l’ensemble iconographique européen traduit un imaginaire saturé par les représentations de la Seconde Guerre mondiale (qui tend à écraser la mémoire de la première guerre Mondiale) et un inconscient qui puise ses images souvenirs (au sens de Bergson) dans les représentations visuelles des camps de concentration. Le film récent « le Fils de Saul » (festival de Cannes 2015) puise dans ce répertoire imagétique. D’aucuns auront noté le réel va-et-vient entre le passé qui ne « passe pas » et la crise actuelle des réfugiés. Nous interrogerons la notion de mémoire douloureuse, mémoire traumatique, mémoire manipulée ou encore mémoire sublimée (au sens de Ricœur) mais également mémoires concurrentielles dans cette construction. L’imagerie des migrants forcés diffusée, dans nos médias, vient réinviter le passé dans le présent. En témoigne les réactions violentes à l’encontre du photographe hongrois Norbert Baska (qui a soulevé une série d’indignations sur le registre de la moralité) pour avoir photographié des « migrants élégants » et donné à voir une  iconographie alternative de femmes réfugiées comme icônes de charme et de chic. La journée réunit chercheurs, professionnels de l’image et journalistes afin de nous inviter à repenser les stéréotypes de la migration et les représentations convenues de la misère de l’Autre et du réfugié.

Contacts : lehourerou.fabienne40@gmail.com

Programme :

9H30-9H40 Introduction Fabienne Le Houérou :

La crise des réfugiés de 2015 et sa médiatisation : essais d’interprétations imagétiques

Présidente de séance Anouche Kunh, Historienne, Migrinter

9h40-10H10-Véronique Lassailly-Jacob, Géographe, Migrinter : « Symboles de la vulnérabilité dans l’imagerie contemporaine des camps de réfugiés en Afrique subsaharienne ».

Les camps de réfugiés en Afrique subsaharienne font l’objet d’une importante production photographique qui accompagne articles de presse, rapports du HCR et des ONG ainsi qu’ouvrages et expositions de photoreporters. L’objet de cette communication est d’interroger la nature des symboles de vulnérabilité qui concourent à l’esthétisation de la détresse à travers l’étude de l’univers photographique de Sebastiao Salgado (camps rwandais en RDC) et de celui du HCR (camps mozambicains en Zambie et au Malawi). En contrepartie, seront présentées des images prises par l’auteur de ce que Raymond Depardon appelle « les temps faibles », la vie quotidienne dans le temps long d’un camp de réfugiés mozambicains en Zambie.

10H10-10H35 Fabienne Le Houérou, Historienne et anthropologue, « L’imaginaire du fil barbelé depuis seconde guerre Mondiale dans la représentation des réfugiés dans la presse européenne de 1951 à nos jours ».

Depuis la crise syrienne et le flux occasionné par les réfugiés de la guerre en Syrie, les médias ont largement fait circuler des images liées à la situation d’urgence. Les représentations visuelles s’inspirent de l’image des camps, des baraquements, barbelés et des tentes donnant à voir un certain retour d’une imagerie « primitive» d’un espace de relégation, ségrégué voire de contre-espace. Le nombre d’occurrences mettant en scène des réfugiés photographiés avec des barbelés, en arrière-plan, est, en ce sens, emblématique de cet imaginaire « barbelé » qui hante notre représentation actuelle du réfugié. Cet imaginaire barbelé sera l’objet d’une analyse des imprégnations imagétiques de la seconde guerre Mondiale sur la crise actuelle des réfugiés.

10H35-11H William Berthomière, Géographe (MIGRINTER) « La métaphore des mains comme réception ou rejet du réfugié dans l’imagerie contemporaine »

Au cours des dernières décennies et jusqu’à une période récente qui se définit sous le terme de « crise des réfugiés », les médias européens ont mis en lumière l’arrivée d’étrangers en quête d’une terre d’accueil. Ces images mettent en scène des secouristes, des garde-côtes ou bien encore de simples citoyens européens face à la détresse de personnes embarquées. Ces photos doivent faire l’objet d’une lecture attentive, car elles composent un corpus qui nous ouvre la voie d’une lecture diachronique de l’accueil. En tentant de zoomer sur la diversité des mains qui sont présentées dans cette abondante production photographique, il s’agira dans cette contribution de tenter d’y cerner des formes de l’accueil pour mieux y discerner ses évolutions au sens d’une figuration du pouvoir toucher (possibilité, faculté, souveraineté) pour s’inscrire dans la perspective de Derrida.

-Pause-café :11H-20

11H20-11H50 Florence Aubenas, Journaliste au journal, Le Monde , « La presse française et les stéréotypes accolés aux réfugiés »

11H 50-12 H 20 Nicola Mai, Anthropologue et cinéaste,

Présentation du film « Samira /Karim » (2013, 28 minutes) suivie de questions/réponses au réalisateur. (Avec Skype). Les dispositifs qui donnent accès à la protection humanitaire et à l’asile politique fonctionnent comme des frontières biographiques, donnant (ou refusant souvent) l’accès aux droits de l’homme et au marché du travail sur la base de discours standardisés de victimisation et vulnérabilité. Le court-métrage (Karim) interroge ces stéréotypes et plonge dans la complexité du récit de soi et du genre face aux attendus institutionnels.

12H20-13H30 : Déjeuner

13H30-14H Adelina Miranda, Sociologue, MIGRINTER,

« Contrastes d’images. L’arrivée des demandeurs d’asile en Italie ».

Depuis les années 1990, l’Italie est au centre des mouvements qui traversent la Méditerranée. Comme le montre l’arrivée récente de demandeurs d’asile, l’image du « migrant » est presque devenue une sorte de métaphore évocatrice d’une situation de danger et de détresse. Dans cette présentation, nous analyserons la construction de cette vision à travers deux perspectives d’analyse. La première porte l’attention sur l’élaboration sélective de faits migratoires ; la deuxième situe cette construction mémorielle sélective à l’intérieur des questions identitaires italiennes. Entre la présence de l’église catholique et des mouvements d’extrême droite, les images de la migration permettent-elles de saisir les crispations identitaires italiennes ?

14H-14H30 Daniel Senovilla, Juriste, MIGRINTER-CNRS et Océane Uzureau ( IE- Migrinter)

« Images des mineurs migrants : des preuves de terrain ou des outils d’enquête ? » 

L’utilisation de l’image, dans le cadre de nos enquêtes, auprès des mineurs migrants dits « isolés » – tant en France que dans d’autres pays européens – remplit une double fonction. D’une part, nos photographies de terrain se proposent comme preuve en appui de notre approche sociojuridique, notamment nous permettant de mettre en exergue le contraste existant entre la norme et les conséquences de son interprétation et de son application en pratique, et, d’une autre part, l’utilisation des visuels permet également de faire émerger l’expression de la parole des jeunes migrants au cours de nos investigations de terrain. Entre preuve et outil nous verrons comment l’utilisation complexe des images demeure heuristique dans ce domaine particulier de l’enfance isolée.

14H30-14H40 Conclusions

Projection d’un film documentaire

14H40-15H20 FILM : « Angu une femme sur le fil(m) », CNRS-Aix-Marseille Université, 2014, 54 minutes. (Disponible en version anglaise)

Documentaire qui interroge les mariages mixtes en situation diasporique et les espaces interstitiels. Etude de cas explorant l’itinéraire d’une réfugiée tibétaine en Inde.

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